Agrégat de centaines de bateaux capturés au fil des siècles, la cité flottante d’Armada accueille un impressionnant échantillon de tout ce que l’étrange monde de Bas-Lag compte de pirates, de marginaux et d’anarchistes, qu’ils soient humains, mutants ou... autres. Mais sous l’impulsion des mystérieux Amants, la ville va pour la première fois s’unir derrière un but commun ; un projet colossal, démesuré, dans le sillage duquel vont être pris Bellis, jeune traductrice retenue contre son gré, Tanneur, prisonnier Recréé par la chirurgie cruelle de ses geôliers, Silas, agent à la mission et la personnalité des plus troubles, Uther Dol, mercenaire silencieux aux pouvoirs terrifiants, et bien d’autres encore...
Quand China Miéville écrit de la fantasy, il se fiche royalement des conventions du genre ou des habitudes des lecteurs. Il écrit SA fantasy, son monde, qui ne ressemble à rien de ce que vous avez déjà pu lire ailleurs. Etiqueté New Weird un peu en désespoir de cause, ce bizarre mélange de magie, d’horreur, de créatures, de mythologie, de steampunk et de toutes autres choses susceptibles d’intéresser son auteur forme pourtant, grâce à une imagination débridée et une écriture très fouillée, un univers étonnamment cohérent et original. Et, chose aussi rare qu’appréciable, dans lequel même le lecteur le plus chevronné ne sait jamais sur quoi il va tomber.
Séverian, l’apprenti bourreau depuis longtemps arrivé au bout de son époustouflant périple, se souvient. De tout. Des détails les plus infimes, des compagnons les plus éphémères, des impressions les plus fugaces. Mais le monde mourant de Teur est éminemment complexe, et si Séverian prétend nous raconter avec une exactitude parfaite les détails de son voyage, reste au lecteur à les mettre en perspective pour dégager aussi ce qu’il ne nous dit pas, qu’il ne l’ait pas remarqué ou compris sur le moment ou bien qu’il l’omette sciemment.
Etre un auteur, ce n’est pas simplement raconter une histoire. C’est avoir un angle, un point de vue, une façon bien à soi de la raconter. Chez Wolfe, cela passe souvent par le biais d’une narration à la première personne ; mais ce qui chez des auteurs moindres est souvent une solution de facilité devient chez lui un véritable tour de force. Que ce soit par leur éducation, leur personnalité ou leurs pouvoirs, les narrateurs de Wolfe présentent toujours une interprétation biaisée des faits, et ce n’est qu’en se plongeant profondément dans leur psyché que l’on pourra tenter de déchiffrer ce qui se passe en réalité. Peut-être son œuvre la plus maîtrisée (ce qui n’est pas peu dire !), Le Livre du Nouveau Soleil constitue une véritable expérience de lecture, exigeante mais passionnante, au monde comme aux personnages incroyablement fouillés. Le tout servie par une plume qui, non contente d’être sublime, se permet en plus d’alterner les registres avec un talent constant. Une œuvre et un auteur résolument uniques.